Interview de Frédéric Favarel

par | 15 Juin 2009 | Artistes

Il y a quelques semaines, j’ai eu la chance d’assister à un concert de jazz à côté de chez moi, comme il y en a relativement souvent. Ce soir là, un guitariste français que je ne connaissais pas était programmé, Frédéric Favarel. La surprise a été bonne, même si en regardant le CV du monsieur, il ne faisait aucun doute que la soirée serait bonne. et la soirée fut bonne. L’exercice du trio guitare contrebasse batterie est périlleux et le concert a été très agréable pour moi. La guitare était très bien secondée par une section rythmique exemplaire, bien que cette soirée soit leur première occasion de jouer ensemble. Félicitations, c’était très réussi.

Le choix des morceaux était également intéressant puisque la set list été composée de standards issus de comédies musicales américaines, vaste catalogue s’il en est et qui m’a permis de découvrir de nouveaux morceaux.

Frédéric ayant accepté de répondre à quelques questions sur sa vie de musicien de jazz en France,voici l’interview par mail interposé.

Blog Qui Gratte : Peux-tu te présenter brièvement pour nos lecteurs qui ne te connaitraient pas ?

Frédéric Favarel : Je suis professionnel depuis un vingtaine d’années et je vis à Paris depuis quatorze ans; je partage mon temps entre l’activité d’enseignant et celle de musicien (scène et enregistrements) et j’ai pour l’instant la chance de ne faire que la musique que j’aime, soit en sideman pour différents musiciens, soit en leader sur des projets personnels.

FavarelJe suis né en 1966 à Toulouse, j’ai commencé à jouer vers 13/14 ans avec des disques de hard-rock (AC/DC, Deep Purple, Black Sabbath, Led Zeppelin…), puis je suis venu au blues et à la pop (les artistes du festival de Woodstock, Jimi Hendrix…) et enfin au Jazz. Le Jazz-fusion tout d’abord (Mahavishnu Orchestra, Chick Corea, Pat Metheny…) puis un jazz plus acoustique (Charlie Parker, John Coltrane, Keith Jarrett, Bill Evans, Miles Davis…).

Mon nouveau projet est par contre plutôt électrique !

BQG : Comment en es tu venu à faire de la musique ?

FF : Par imitation d’un copain tout d’abord, pour pouvoir moi aussi savoir jouer l’intro de « Smoke On The Water » ! Je n’ai pas eu de parents musiciens mais le milieu familial étant globalement tourné vers l’artistique (peinture, théâtre, danse…), je pense que cela a indirectement contribué à ma formation mais on ne m’a jamais poussé dans cette voie.

J’ai pris quelques cours de classique pour me dégourdir les doigts, j’ai un peu traîné au conservatoire,  pris des cours de Jazz (cours particuliers ou stages ponctuels) mais pour le reste, je suis autodidacte.

BQG : Quel a été le déclencheur pour devenir professionnel ?

FF : La décision est venue d’elle même, sans déclencheur particulier. J’ai commencé à jouer avec des musiciens locaux, j’ai aussi fait un peu d’orchestre de bal puis les choses se sont enchaînées, avec plus ou moins de régularité (divers groupes, concerts, enregistrements…). J’ai aussi commencé à enseigner assez rapidement.

BQG : Sur quel matériel joues-tu ? Guitare, amplis, effets, cordes, médiator ? Acoustique, électrique ?

FF : Je possède deux guitares électriques : mon instrument principal est une  « U-Guitar » customisée pour moi par un formidable luthier, Christophe Leduc qui habite Thionville. C’est un instrument très polyvalent (électrique + capteur piezzo) qui me convient parfaitement.

Le deuxième est une Fender Telecaster de 1969 dont j’ai modifié les micros. Je l’ai beaucoup joué mais je ne l’utilise plus sur scène aujourd’hui.

J’ai également deux guitares acoustiques: une Taylor cordes acier et une Alhambra cordes nylon que j’utilise suivant les projets et le type de sons voulus.

Je privilégie les amplis lampes : je joue pour l’instant sur un « Fender Blues Deluxe Reissue ». J’utilise globalement peu d’effets : une reverb T.C Electronics avec parfois un peu de Delay, une T.S 9 Ibanez pour la distortion, une pédale de volume toute simple et parfois un Octaver Boss et une Loop Station Boss RC 20. Mon tirant de corde habituel est du 010/046 Dean Markley ou D’Addario avec des médiators taille moyenne en 2mm.

BQG : Tu es un pédagogue comme j’ai pu le voir sur ton site, sur lequel tu mets à disposition des extraits audio et des partitions de certains de tes morceaux ? Qu’est ce qui te plait dans l’enseignement et la transmission de tes connaissances ?

Favarel
FF : Je pense que l’enseignement et la scène sont deux activités complémentaires, elles fonctionnent pour moi comme des vases communiquants : je ne suis pas sûr que l’on puisse éternellement enseigner ce que l’on ne pratique pas au quotidien. Jouer de la musique me permet de m’exprimer et de mettre en pratique mes connaissances ; les transmettre m’oblige à les clarifier d’abord pour moi-même puis pour les autres. Les confronter à la réalité de la scène me permet ou non de les valider. Les informations théoriques sont très nombreuses et à la portée de n’importe qui ayant un peu de curiosité, donc j’essaye aussi de transmettre une expérience, un vécu,  une attitude envers la musique et pas seulement des notes.

Par ailleurs, la préparation des cours m’impose d’enrichir et de renouveler mes sources, donc d’aiguiser ma curiosité. Il y a des domaines de la guitare jazz que j’ai du retravailler et redécouvrir afin de mieux transmettre sur du long terme. En ce sens, l’enseignement devient créatif et nourrit votre musique et vos connaissances en retour.

BQG : Quelle sont les différences entre l’enseignement en Conservatoire / Ecole et les masterclasses que tu donnes ?

FF : Je pense que l’offre d’enseignement est suffisamment variée entre le privé et le public pour répondre aux différentes demandes des élèves : certains ont besoin d’une structure rassurante comme un conservatoire pour travailler régulièrement, d’autres (comme cela a été mon cas) préfèrent prendre des informations sur un stage ponctuel et digérer ensuite les informations chez eux, d’autres encore vont privilégier la rencontre lors d’une master-class. Chacun a sa problématique et son rythme de progression personnel et il n’y a certainement pas de formule idéale, tous les parcours sont valables.

Ensuite, d’autres paramètres interviennent dans le choix de la structure comme le coût des études (facteur non négligeable !), la situation géographique, la qualité des intervenants et la réputation de l’établissement, l’importance du département jazz si il s’agit d’un conservatoire (donnée très variable suivant les établissements), la reconnaissance du diplôme délivré, etc…

BQG : Tu as vécu trois ans aux Etats-Unis. Pourquoi es-tu parti là bas et qu’est ce que ça t’a apporté tant sur le plan humain que musical ?

FF : Partir là-bas signifiait d’abord la concrétisation d’un rêve de gamin au delà de la musique, puis tout simplement le désir de quitter ma ville natale où je commençais à tourner en rond.

La motivation principale était aussi d’aller aux sources du jazz et de côtoyer de près des musiciens prestigieux, d’avoir la chance de bénéficier de leur enseignement, de leur expérience et leurs conseils. New-York est un point de ralliement pour des musiciens de Jazz du monde entier et vivre dans ce « bain » musical et humain est une expérience très riche, mais aussi éprouvante parfois. Le niveau musical y est très varié, on y croise le pire comme le meilleur, c’est aussi ce qui en fait sa richesse.

Néanmoins, je ne conseillerais plus aujourd’hui d’aller là bas pour étudier, il ya tout ce qu’il faut aujourd’hui en Europe et le niveau y est excellent.

BQG : Quelles sont les différences entre une vie de musicien aux US et en France ?

FF : La condition sociale et économique d’un musicien en France (même si elle a grand besoin d’être améliorée) est globalement plus enviable qu’aux USA, où la concurrence y est aussi plus rude. N’oublions pas qu’il n’y existe pas (comme dans les autres pays d’Europe d’ailleurs) de système d’intermittent du spectacle, de Spedidam ou de Caisse des Congés Spectacle. En partie à cause de cela, les musiciens américains sont obligés d’être plus polyvalents et moins sélectifs dans leurs orientations musicales. Sans parler des têtes d’affiche internationales, rares sont sont ceux qui peuvent prétendre vivre convenablement de leur musique. Il est courant de rencontrer d’excellents musiciens qui ont un emploi à temps partiel à côté. D’autres, comme en France, se tournent vers l’enseignement.

Favarel
BQG : Dans la discographie de ton site, on voit que tu fais pas mal de sessions. Comment s’organise en général ce travail quand on n’est pas leader ? Une grille et de la liberté, des instructions plus ou moins strictes, une collaboration de tous les session men ?

FF : Cela dépend entièrement du chef d’orchestre. Certains sont très dirigistes, d’autres laissent davantage de liberté. Sur les groupes avec une plus grande durée de vie et un travail sur le long terme (comme avec le quartet du saxophoniste Stéphane Guillaume), le travail tend de plus en plus à être collectif, chacun amenant musique et idées. Dans tous les cas, je fais très attention à être « au service »  du compositeur et de sa musique tout en y cherchant mon espace de liberté.

BQG : Qu’est ce que tu écoutes habituellement, tes disques récurrents ?

FF : J’écoute des choses très variées mais principalement dans le domaine du Jazz ; j’ai des artistes récurrents comme Bill Evans ou Miles Davis mais je n’ai plus trop le temps aujourd’hui d’écouter pour le simple plaisir : mon écoute est souvent en relation avec les compositeurs et musiciens avec qui je travaille un répertoire ; j’écoute aussi de manière plus analytique certains musiciens pour mes cours au conservatoire (transcriptions de morceaux ou d’improvisations). Sinon, j’écoute aussi pas mal de rock et de pop en essayant de me tenir au courant de ce qui se fait.

BQG : Que penses-tu d’Internet en tant que musicien ?

FF : Sans vouloir rentrer en détail dans la polémique concernant le téléchargement légal ou pas, je pense qu’Internet est un formidable outil de communication, d’échange et une mine d’informations. Pour un musicien inconnu comme moi qui ne vit pas de la vente des disques, que mes morceaux soient illégalement téléchargés ne me dérange pas. Si ça peut inciter certains à venir m’écouter en concert, c’est tant mieux ! Un site de présentation comme MySpace me paraît tout à fait intéressant et me permet de diffuser gratuitement ma musique et nouer des contacts.

Le disque n’est plus l’objet culte qu’il était avant (et d’ailleurs je le regrette), les modes de consommation et d’écoute de la musique changent et on ne peut rien faire contre, alors autant essayer de s’adapter. Je télécharge peu mais uniquement sur des plateformes payantes et j’achète beaucoup moins de CD qu’avant car leur prix me pose un problème. Qu’ils baissent déjà la TVA sur le disque et peut-être les gens iront-ils en acheter davantage…

BQG : Tu joues aussi bien totalement en picking, qu’au médiator. Comment as-tu développé cette technique ?

FF : Je n’ai pas développé de technique particulière au doigt. C’est juste un choix de son et de texture lorsque j’accompagne (aux doigts) et lorsque j’improvise (au médiator).

BQG : As-tu des conseils à donner à nos lecteurs qui souhaiteraient se mettre au jazz ou approfondir sérieusement cette musique ?

FF : Plusieurs choses: la première est de ne pas négliger la théorie et ne pas s’illusionner sur la nature de l’improvisation. Les notes ne « tombent pas du ciel » mais l’acte d’improviser fait appel à des connaissances théoriques, techniques et sollicite votre mémoire et votre oreille. Plus cette dernière est éduquée et entrainée, mieux c’est. Vouloir jouer du Jazz uniquement à l’oreille est aujourd’hui une illusion, sauf pour peut-être quelques rares exceptions.

Ensuite, il faut avoir une bonne culture discographique car une bonne partie de l’apprentissage vient de là et non du support écrit comme en classique. Donc écouter, écouter, écouter…

Pour finir, je citerai volontiers un célèbre contrebassiste américain  à qui un élève demandait des conseils sur la pratique du Jazz : « Il y a trois choses à travailler : le tempo, le tempo et le tempo » !

Pour finir cette interview, voici une courte vidéo prise lors du concert.

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Merci Frédéric pour l’autorisation de publier la vidéo et les photos et surtout d’avoir pris le temps de répondre à mes questions.
Si vous voulez en savoir plus et écouter quelques morceaux, vous pouvez vous rendre sur son site officiel ou sur son Myspace.

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